
Amylose cardiaque : symptômes, diagnostic et traitements
L’amylose cardiaque est une maladie souvent méconnue mais potentiellement dévastatrice qui touche le muscle cardiaque. Cette pathologie complexe se caractérise par le dépôt anormal de protéines, appelées amyloïdes, qui s’accumulent dans les tissus cardiaques et perturbent progressivement son fonctionnement.
En France, bien que considérée comme rare, l’amylose cardiaque est probablement sous-diagnostiquée. Sa prévalence est estimée entre 5 et 10 cas pour 100 000 personnes, mais ce chiffre pourrait être plus élevé car de nombreux patients sont diagnostiqués tardivement ou à tort. L’impact sur la qualité de vie est considérable : essoufflement progressif, fatigue intense et capacité d’effort réduite sont le quotidien des personnes atteintes.
Le diagnostic précoce de l’amylose cardiaque représente un véritable défi médical mais constitue un enjeu majeur. En effet, les nouvelles thérapies disponibles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont initiées tôt dans l’évolution de la maladie, avant que les lésions cardiaques ne deviennent irréversibles.
Comprendre l’amylose cardiaque
Qu’est-ce que l’amylose cardiaque ?
L’amylose cardiaque désigne l’infiltration du muscle cardiaque par des dépôts de protéines anormalement repliées appelées fibrilles amyloïdes. Ces dépôts s’accumulent entre les cellules cardiaques, épaississant et rigidifiant progressivement les parois du cœur. Cette accumulation entrave la capacité du cœur à se remplir correctement (dysfonction diastolique) et, à terme, à se contracter efficacement (dysfonction systolique).
Il existe plusieurs types d’amylose pouvant affecter le cœur, chacun caractérisé par la nature de la protéine qui forme les dépôts amyloïdes :
- Amylose à chaînes légères (AL) : liée à une production excessive de fragments d’anticorps (chaînes légères) par des plasmocytes anormaux
- Amylose à transthyrétine (ATTR) : causée par des dépôts de transthyrétine, une protéine transporteuse produite principalement par le foie
- Amylose AA : plus rarement cardiaque, associée à des maladies inflammatoires chroniques
Le mécanisme pathologique commence par un mauvais repliement des protéines concernées, qui s’agrègent ensuite en fibrilles insolubles. Ces fibrilles s’accumulent dans l’espace extracellulaire cardiaque, perturbant l’architecture tissulaire et la fonction des cardiomyocytes environnants. Cette infiltration progressive provoque un épaississement des parois ventriculaires et une altération de leur élasticité.
Causes et facteurs de risque

L’amylose cardiaque peut être héréditaire ou acquise, selon le type impliqué :
Formes héréditaires : L’amylose à transthyrétine héréditaire (ATTRh) est causée par des mutations du gène TTR. Plus de 120 mutations ont été identifiées, certaines étant associées à des présentations cliniques spécifiques. La mutation Val30Met est particulièrement fréquente dans certaines populations (Portugal, Japon, Suède). Cette forme se transmet sur le mode autosomique dominant, signifiant qu’un seul parent porteur de la mutation peut la transmettre avec une probabilité de 50% à chaque enfant.
Formes acquises : L‘amylose AL résulte d’une production anormale de chaînes légères d’immunoglobulines par une population de plasmocytes monoclonaux dans la moelle osseuse. L’amylose à transthyrétine sauvage (ATTRwt), également appelée amylose sénile, survient lorsque la protéine transthyrétine normale devient instable avec l’âge et forme des dépôts amyloïdes, principalement dans le cœur.
Il existe plusieurs groupes à risque particulier :
- Personnes âgées (>60 ans) pour l’ATTRwt
- Individus ayant des antécédents familiaux d’amylose cardiaque
- Patients atteints de gammapathie monoclonale pour l’amylose AL
- Certains groupes ethniques pour des mutations spécifiques (Afro-américains pour la mutation Val122Ile)
Type d’amylose | Protéine impliquée | Nature | Population touchée |
---|---|---|---|
AL (chaînes légères) | Chaînes légères d’immunoglobulines | Acquise | Adultes (50-65 ans), légère prédominance masculine |
ATTR héréditaire | Transthyrétine mutée | Génétique | Variable selon les mutations, début entre 30 et 70 ans |
ATTR sauvage (sénile) | Transthyrétine normale | Acquise liée à l’âge | Personnes âgées (>70 ans), forte prédominance masculine |
Symptômes et signes de l’amylose cardiaque
Manifestations cardiaques
L’amylose cardiaque se manifeste principalement par des symptômes d’insuffisance cardiaque, mais présente certaines particularités cliniques importantes à reconnaître :
- Dyspnée d’effort : souvent le premier symptôme, elle progresse vers une dyspnée de repos à mesure que la maladie évolue
- Œdèmes périphériques : gonflement des jambes et des chevilles dû à la rétention hydrosodée
- Fatigue intense et intolérance à l’effort : disproportionnées par rapport aux anomalies échocardiographiques
- Palpitations : reflétant des troubles du rythme cardiaque fréquents
- Hypotension orthostatique : chute tensionnelle lors du passage en position debout
- Syncopes : pertes de connaissance brèves pouvant témoigner de troubles de conduction ou d’arythmies
Les complications cardiaques spécifiques comprennent :
Troubles du rythme : La fibrillation atriale est particulièrement fréquente, touchant jusqu’à 50% des patients atteints d’amylose cardiaque. Des arythmies ventriculaires potentiellement fatales peuvent également survenir.

Troubles de la conduction : Des blocs auriculo-ventriculaires nécessitant parfois l’implantation d’un stimulateur cardiaque.
Cardiomyopathie restrictive : L’infiltration amyloïde rend le muscle cardiaque rigide et peu compliant, entraînant des pressions de remplissage élevées malgré un volume ventriculaire normal ou réduit.
« L’amylose cardiaque doit être évoquée face à toute insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, surtout chez un patient âgé de plus de 65 ans présentant une hypertrophie ventriculaire gauche sans cause évidente. » – Haute Autorité de Santé
Signes extra-cardiaques
L’amylose est une maladie systémique pouvant affecter de nombreux organes au-delà du cœur. Ces manifestations varient selon le type d’amylose et peuvent précéder les symptômes cardiaques, constituant des indices diagnostiques précieux :
Atteintes neurologiques :
- Neuropathie périphérique sensitivo-motrice avec douleurs, paresthésies et déficit moteur progressif
- Dysautonomie avec hypotension orthostatique, troubles digestifs, anomalies pupillaires
- Syndrome du canal carpien bilatéral, souvent précédant de plusieurs années les symptômes cardiaques dans l’ATTR
Atteintes rénales :
- Protéinurie pouvant évoluer vers un syndrome néphrotique
- Insuffisance rénale progressive
Manifestations digestives :
- Troubles du transit (diarrhée ou constipation)
- Satiété précoce et perte de poids
- Hépatomégalie avec perturbation des tests hépatiques
Autres signes évocateurs :
- Macroglossie (langue élargie) et voix rauque, plus fréquentes dans l’amylose AL
- Ecchymoses périorbitaires (« yeux de raton laveur »)
- Rupture spontanée du biceps brachial (dans l’ATTR)
- Sténose du canal lombaire
Quels sont les premiers signes de l’amylose cardiaque ?
Les premiers signes de l’amylose cardiaque sont souvent insidieux et non spécifiques : essoufflement progressif à l’effort, fatigue inhabituelle et œdèmes des membres inférieurs. Un syndrome du canal carpien bilatéral ou une intolérance aux traitements habituels de l’insuffisance cardiaque peuvent être des indices précoces. L’association à des troubles digestifs, une neuropathie périphérique ou une hypotension orthostatique doit renforcer la suspicion d’amylose cardiaque.
Diagnostic et prise en charge de l’amylose cardiaque
Parcours diagnostique
Le diagnostic de l’amylose cardiaque repose sur une démarche progressive combinant évaluation clinique, examens biologiques, imagerie et, dans certains cas, analyses histologiques :
Examens cliniques :
- Anamnèse détaillée, incluant les antécédents familiaux
- Examen physique recherchant des signes d’insuffisance cardiaque et de manifestations extra-cardiaques
- Évaluation neurologique complète (recherche de neuropathie périphérique et dysautonomie)
Examens paracliniques :
- Électrocardiogramme : peut montrer un microvoltage contrastant avec l’hypertrophie à l’imagerie, des troubles de la conduction
- Échocardiographie : révèle typiquement un épaississement des parois ventriculaires, une dysfonction diastolique, un aspect granité du myocarde, et parfois un épanchement péricardique
- IRM cardiaque : élément clé du diagnostic avec un rehaussement tardif caractéristique au gadolinium et des anomalies de la cinétique du gadolinium (T1 mapping)
- Scintigraphie osseuse : examen crucial pour le diagnostic non invasif de l’amylose ATTR, montrant une fixation cardiaque anormale du traceur
Examens biologiques :
- Recherche d’une gammapathie monoclonale (électrophorèse des protéines sériques et urinaires, dosage des chaînes légères libres)
- Biomarqueurs cardiaques (NT-proBNP, troponines) généralement élevés
- Tests génétiques pour détecter les mutations du gène TTR en cas de suspicion d’ATTRh
La biopsie tissulaire reste l’examen de référence pour confirmer définitivement la présence de dépôts amyloïdes et en déterminer la nature. Selon le contexte clinique, elle peut être réalisée au niveau :
- Du myocarde (biopsie endomyocardique, examen le plus spécifique mais invasif)
- D’autres sites plus accessibles (graisse abdominale, glandes salivaires, muqueuse rectale)
- De la moelle osseuse (particulièrement utile pour l’amylose AL)
Les prélèvements sont analysés en microscopie avec coloration au rouge Congo (biréfringence verte caractéristique en lumière polarisée) et immunohistochimie pour typer précisément l’amylose.
Options thérapeutiques actuelles
La prise en charge de l’amylose cardiaque a considérablement évolué ces dernières années, avec l’émergence de traitements ciblant spécifiquement les mécanismes pathologiques. L’approche thérapeutique diffère selon le type d’amylose :
Traitements spécifiques de l’amylose AL :
- Chimiothérapie visant à éliminer le clone plasmocytaire responsable de la production de chaînes légères
- Protocoles à base d’inhibiteurs du protéasome (bortézomib), souvent associés à la dexaméthasone
- Autogreffe de cellules souches chez les patients éligibles
- Anticorps monoclonaux anti-CD38 (daratumumab) dans les formes réfractaires
Traitements spécifiques de l’amylose ATTR :
- Stabilisateurs de la TTR : tafamidis (Vyndaqel®), médicament approuvé qui réduit la mortalité et les hospitalisations en stabilisant la protéine TTR
- Silenceurs géniques : patisiran (Onpattro®) et inotersen (Tegsedi®), traitements innovants qui réduisent la production hépatique de TTR (principalement indiqués dans les formes avec neuropathie)
- Transplantation hépatique : option considérée dans certaines formes héréditaires spécifiques chez les patients jeunes
Traitements symptomatiques de l’insuffisance cardiaque :
La prise en charge de l’insuffisance cardiaque dans l’amylose présente des particularités importantes :
- Diurétiques : pierre angulaire du traitement des symptômes congestifs
- Précaution avec les bêta-bloquants et inhibiteurs calciques qui peuvent être mal tolérés
- Utilisation prudente des IEC/ARA2 en raison du risque d’hypotension
- Anticoagulation recommandée en cas de fibrillation atriale même en l’absence d’autres facteurs de risque thrombo-emboliques
Nouvelles approches thérapeutiques :
La recherche sur l’amylose cardiaque est particulièrement active, avec plusieurs pistes prometteuses :
- Anticorps ciblant les dépôts amyloïdes pour favoriser leur élimination
- Nouvelles générations de silenceurs géniques oraux
- Thérapies combinées ciblant différents mécanismes pathologiques
Dans les cas avancés, une transplantation cardiaque peut être envisagée, particulièrement pour l’amylose AL après contrôle de l’hémopathie sous-jacente. Pour l’amylose ATTRh, une transplantation combinée cœur-foie peut parfois être proposée.
FAQ sur l’amylose cardiaque
Certaines formes d’amylose cardiaque sont héréditaires, notamment l’amylose à transthyrétine héréditaire (ATTRh), transmise sur le mode autosomique dominant. En revanche, l’amylose à chaînes légères (AL) et l’amylose à transthyrétine sauvage (ATTRwt) sont des formes acquises, non héréditaires. Un conseil génétique est recommandé pour les patients atteints d’ATTRh et leurs familles.
Le traitement de l’amylose cardiaque dépend du type d’amylose identifié. Pour l’amylose AL, on utilise des chimiothérapies ciblant les plasmocytes. Pour l’amylose ATTR, des stabilisateurs de la transthyrétine comme le tafamidis ou des silenceurs géniques (patisiran, inotersen) sont employés. Dans tous les cas, un traitement symptomatique de l’insuffisance cardiaque est nécessaire, principalement basé sur les diurétiques et adapté aux spécificités de l’amylose.
Le pronostic de l’amylose cardiaque s’est considérablement amélioré ces dernières années grâce aux nouveaux traitements. Il varie selon le type d’amylose et le stade au diagnostic. Pour l’amylose AL avec atteinte cardiaque avancée, la médiane de survie peut être de quelques mois sans traitement, mais s’améliore significativement avec les thérapies actuelles. Pour l’amylose ATTR, le tafamidis a démontré une réduction de 30% de la mortalité, transformant le pronostic de cette forme.
Il n’existe pas de prévention primaire de l’amylose cardiaque. Cependant, pour les formes héréditaires (ATTRh), un dépistage génétique des apparentés permet une identification précoce des porteurs de mutations, avant l’apparition des symptômes. Cela offre la possibilité d’instaurer un suivi adapté et d’initier rapidement un traitement dès les premiers signes de la maladie, améliorant ainsi significativement le pronostic.
Oui, plusieurs associations soutiennent les patients atteints d’amylose et leurs proches. En France, l’Association Française contre l’Amylose offre information, soutien et favorise la recherche. Au niveau international, l’Amyloidosis Support Group et l’Amyloidosis Foundation proposent des ressources précieuses. Ces organisations contribuent à sensibiliser le public et les professionnels de santé à cette pathologie encore méconnue.
Vivre avec une amylose cardiaque nécessite des adaptations au quotidien : surveillance régulière du poids et des symptômes d’insuffisance cardiaque, respect du régime hyposodé, activité physique adaptée selon les recommandations médicales, et observance scrupuleuse des traitements. Un soutien psychologique peut être bénéfique pour faire face aux défis de cette maladie chronique. Un suivi médical rapproché avec des consultations régulières chez le cardiologue est indispensable.
La recherche sur l’amylose cardiaque connaît des avancées majeures : nouveaux médicaments ciblant la formation des fibrilles amyloïdes, thérapies visant à éliminer les dépôts existants, et silenceurs géniques oraux en développement. Des études explorent également l’identification de biomarqueurs pour un diagnostic plus précoce et une meilleure stratification du risque. Ces innovations laissent espérer une transformation du pronostic de cette maladie dans les années à venir.
En résumé
L’amylose cardiaque représente un défi diagnostique et thérapeutique majeur en cardiologie moderne. Longtemps considérée comme une maladie rare au pronostic sombre, elle bénéficie aujourd’hui d’une meilleure connaissance de ses mécanismes physiopathologiques et d’avancées thérapeutiques remarquables qui ont transformé son évolution.
La reconnaissance des signes évocateurs d’amylose cardiaque par les professionnels de santé constitue une étape cruciale pour raccourcir le délai diagnostique, encore trop long dans de nombreux cas. L’association d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, d’une hypertrophie ventriculaire inexpliquée et de signes extra-cardiaques comme une neuropathie périphérique ou un syndrome du canal carpien doit systématiquement faire évoquer cette pathologie.
Les outils diagnostiques se sont considérablement améliorés, avec notamment l’apport de l’IRM cardiaque et de la scintigraphie osseuse qui permettent souvent un diagnostic non invasif de l’amylose ATTR. Parallèlement, l’émergence de thérapies spécifiques — stabilisateurs de la TTR, silenceurs géniques, nouvelles chimiothérapies pour l’amylose AL — a radicalement modifié le pronostic des patients.
Pour une prise en charge optimale de cette pathologie complexe, une approche multidisciplinaire s’impose, associant cardiologues, hématologues, neurologues et généticiens.
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