addiction tabac - Interview de l'addictologue Stéphanie Ladel
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Addiction tabac : interview de Stéphanie Ladel, addictologue

Stéphanie Ladel est addictologue et fait partie des professionnels de santé présents sur Doctoome. Elle exerce à Rennes, en téléconsultation et par téléphone. Le mois sans tabac était l’occasion de lui demander son avis d’experte et d’obtenir certaines clés concernant sa profession et les addictions de manière générale. Elle partage avec la communauté Doctoome une approche plus qu’intéressante sur l’addiction tabac et les méthodes qu’elle met en place pour accompagner les patients.

En quoi consiste votre métier d’addictologue ? Avez-vous des expertises particulières ?

Le métier d’addictologue consiste à aider toutes les personnes qui viennent nous consulter, qu’ils craignent d’avoir une addiction ou bien qu’ils craignent que quelqu’un de leur entourage en ait une. Dans un premier temps, il y a une volonté de diagnostic et ensuite une volonté de freiner ou d’arrêter un comportement.

Je suis parfois préventologue, car nous ne sommes pas obligés d’attendre d’être pris dans une addiction pour utiliser une pratique qui est addictive.

Je suis une addictologue généraliste et l’une de mes spécialités est l‘addiction au sexe et à la pornographie.  

Comment en êtes-vous arrivée à choisir cette profession et particulièrement cette spécialité ?

Les addictologues peuvent être issus du milieu médical, psychologique ou social puisque c’est une sur-discipline qui est bio-psycho-sociale : je viens du travail social et j’ai voulu faire le plus compliqué possible. Je me suis dit que si j’étais capable de m’occuper convenablement des situations avec addiction, alors je serais parée à tout !

En effet, il n’y a pas une semaine sans qu’on entende parler de difficultés liées à un produit ou à un comportement répétitif dans nos consultations et je voulais être mieux armée face à cela. 

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée au quotidien ?

J’ai été confrontée au défi de la période du confinement covid, ne pouvant plus assurer mes consultations physiques en cette période. Je proposais déjà des consultations téléphoniques mais j’ai dû penser à la visioconférence, cela était un grand questionnement puis une belle découverte.

Aujourd’hui, je propose toujours des consultations par téléphone ou en visioconférence : je déménage beaucoup et depuis très peu je ne fais plus de consultation en cabinet. 

Y a-t-il des paliers dans l’addiction ?

Non il n’y a pas de paliers. C’est depuis seulement 2013 que nous avons réussi à faire écrire dans nos livres référentiels que ces paliers n’existent pas. Nous voyons le processus addictif plutôt comme un dégradé. Cela signifie qu’il n’y a pas à la fois des personnes qui sont tombées dans “la falaise de l’addiction” et les autres qui s’en sortent bien. Alors on peut parler de degré, il peut y avoir des addictions légères et d’autres plus fortes mais cela ne se joue pas par palier.

L’addiction est quelque chose qui s’installe à l’insu de la personne, c’est un piège avec un produit qui a des effets très positifs pour la personne, qui procure du plaisir ou du soulagement intense et immédiat. De cette façon, cela devient attractif et si on y retourne un peu trop souvent et systématiquement, notre cerveau prend cette information comme « une ressource extérieure qu’il va trouver » et il s’y habitue.

Hélas, sans nous en informer,  notre cerveau vient de se donner l’information qu’il va falloir s’habituer à des shoots… Le cerveau prend comme information qu’il faut calmer ces récepteurs sinon il risque l’AVC, la crise cardiaque ou l’euphorie.  Il apprend à neutraliser ces récepteurs et il s’attend à toujours en recevoir, c’est ainsi que le processus addictif se met en place. 

Qu’est-ce que l’addiction ?

La définition de l’addiction date de 1990 par le Dr. Goodman. Il explique que lorsqu’il arrive quelque chose de plaisant ou un soulagement intense et immédiat, il a un potentiel addictif. On a une addiction quand on continue à l’utiliser malgré les conséquences négatives qu’on connaît, mais on n’arrive pas à ne pas l’utiliser. On a une impulsion répétée à le faire qu’on appelle la compulsion. On a cette perte de contrôle malgré une volonté de ne pas le faire. 

Faut-il nécessairement avoir pris conscience de son addiction et attendre d’être dans une situation grave pour consulter ?

Addiction tabac : consulter un addictologue ou tabacologue

Non, il  n’est pas nécessaire d’attendre d’être dans une situation grave pour consulter. Vous pouvez aller voir l’addictologue pour une inquiétude, même si vous n’êtes absolument pas certain que ce soit une addiction. Il n’y a aucun problème à consulter afin de comprendre, de s’évaluer, de prendre des conseils et surtout de ne pas en créer un comportement.

Ne craignez pas de déranger, vous pouvez consulter à tout moment, il n’y a aucun problème à consulter un addictologue “trop tôt”. 

Y a-t-il des signes préventifs auxquels on devrait prêter attention pour venir vous consulter ? 

Les questions que vous pouvez vous poser c’est : “ Est-ce que ça me fait du mal ? “ ou “ Est-ce que ça fait du mal autour de moi ? “.

Parce que vous allez avoir des difficultés à savoir s’il s’agit d’ une passion ou de quelque chose qui fait du mal. Il y a peu de différences entre un addict au sport et un passionné de sport par exemple. Ce sera possible de le déterminer selon les impacts négatifs. 

Quelle est la recommandation Santé que vous donnez le plus régulièrement à vos patients ? 

Ce que je conseille le plus souvent c’est de diversifier vos plaisirs ou vos sources de soulagement. Je vous ai parlé précédemment de notion de compulsion : cette impulsion à chercher la même chose, le même plaisir parce qu’on sait qu’il va fonctionner, cette pratique creuse un sillon dans l’addiction. En se diversifiant, en diversifiant les sources de plaisir dans sa vie, on va rendre le processus addictif bien plus compliqué à se mettre en place. 

Dans le cadre du mois sans tabac comment, en tant qu’addictologue, pouvez-vous aider quand on souhaite arrêter de fumer ?

Addiction Tabac : Mois sans tabac 2023

En effet nous pouvons aider quelqu’un à arrêter de fumer. On va prendre un moment pour vous écouter et vous poser des questions pour apprendre à mieux vous connaître : “Qu’est-ce qu’il vous arrive ? » « Où en êtes-vous ? » « Qu’est-ce qui vous rend les choses difficiles quand vous essayez d’arrêter ?… “ On a absolument besoin de vous connaître afin de travailler sur ce qui peut fonctionner.

De plus, nous avons des produits de substitution qui sont de la nicotine froide pharmaceutique, connue sous forme de patchs, de gomme ou de pastille. Ce sont de très bons outils qui permettent de ne pas mettre en souffrance les personnes qui arrêtent de fumer. Mais cela ne s’utilise efficacement qu’en étant bien conseillé, faites-vous conseiller par des professionnels de l’addictologie quand vous voulez utiliser ces substituts. 

Que pensez-vous de l’initiative du Mois sans tabac mis en place depuis 2016 ? Constatez-vous un élan particulier concernant l’addiction tabac à cette période de l’année ?

Je pense que c’est une très bonne initiative car elle est collective et elle normalise complètement la sortie du tabac. Sortir du tabac auparavant cela concernait 1 français sur 4 et maintenant c’est tombé à 1 français sur 5, les gens fument moins qu’avant.

Par ailleurs, les jeunes fument beaucoup moins que les personnes plus âgées et c’est depuis 2016 que les chiffres décrochent, je pense que le mois sans tabac y est pour quelque chose. C’est une campagne qui est bien faite et sympa. Elle ne commence pas par culpabiliser le fumeur !

Aujourd’hui, je pense que ce qui fonctionne encore mieux que le Mois Sans Tabac, c’est de regarder les jeunes. En effet, quand les jeunes dénormalisent un comportement cela aide toute la société. 

On entend parfois qu’arrêter de fumer n’est qu’une question de motivation, quel est votre avis en tant que professionnel ?

C’est complètement faux ! On ne peut pas dire que ceux qui continuent à fumer le font par manque de motivation, même si on ne fera rien sans motivation. On ne peut pas arrêter uniquement parce que les personnes extérieures veulent nous voir arrêter, par exemple. 

Addiction tabac : Fumer est-il quasiment inévitable quand on a des parents fumeurs ?

Non, vous avez plusieurs cas de figures.

Vous avez des gens qui fument alors que leurs parents ne sont pas fumeurs, vous avez des gens qui fument alors que leurs parents sont fumeurs. Vous avez des gens qui ont des parents fumeurs et qui ne fument pas. Enfin, vous avez des parents non-fumeurs et des enfants qui ne fument pas. Ainsi cela n’est absolument pas inévitable. 

Certains rêvent de pouvoir fumer occasionnellement, sans se sentir dépendants, pensez-vous que ce soit envisageable sur le court et long terme ? Comment jugez-vous ce souhait ? 

Oui c’est envisageable. Mais ce sur quoi il faut être attentif quand on baisse notre consommation de cigarettes par jour, c’est la manière dont on fume, dont on « tire sur sa cigarette ». En effet, cela peut revenir au même voire être pire, à cause du stress, des angoisses, de la peur de manquer…

Le mieux qu’on puisse souhaiter à quelqu’un c’est de fumer 0 cigarette. On sait scientifiquement qu’à la première cigarette on enclenche pleins de risques : il y a un vrai effet de palier entre 0 cigarette et la première cigarette, ensuite la deuxième et la cinquième se ressemblent, puis la cinquième et la dixième se ressemblent elles aussi. 

Il semble que certaines personnes puissent arrêter dès la première tentative et d’autres non, que dites-vous à ceux qui essaient de se libérer de l’addiction tabac et rechutent depuis des années ?

Addiction tabac : arrêter de fumer

Je leur dis « Bravo, on a trouvé la stratégie qui réussit, on va avancer très vite ! » Il faut qu’on travaille sur le point de rechute mais nous réutilisons cette stratégie qui marche en la renforçant.

Fumer permet-il de perdre du poids ? Et dans le cas d’un arrêt de consommation, est-il normal d’en prendre ? 

Quand on fume, la cigarette est anorexigène, cela coupe la faim. Lorsqu’on fume, on est intoxiqué par la fumée qu’on doit gérer dans notre corps, notre corps est en train de lutter contre des problèmes alors forcément il dépense des calories. C’est un amaigrissement de mauvaise santé.

Quand on fume, on perd une partie du goût et de l’odorat et c’est au moment d’arrêter de fumer qu’on retrouve une faim normale, le goût et l’odorat. Alors le plaisir de la nourriture revient, mais nous pouvons apporter notre aide pour que la nourriture ne devienne pas un produit-refuge pour la personne. 

Quel rôle joue la coordination avec les autres professionnels de santé pour le parcours de soins de vos patients ? Rencontrez-vous des freins ?

Le cœur du sujet c’est ce que veut la personne, on coordonne seulement si elle le souhaite. Parfois cette coordination est bienvenue et judicieuse.

Je suis située à Rennes et nous possédons un réseau addictologique très organisé. À travers cette organisation, nous pouvons trouver des places hospitalières pour des sevrages complexes. Cette coordination peut nous ouvrir des portes extraordinaires quand elle est bien organisée. 

Quel rôle donnez-vous au numérique dans votre quotidien de professionnel de santé ?

Aujourd’hui je lui donne une place très forte. Cela permet aux patients de gérer leurs rendez-vous avec un agenda en ligne, d’avoir des rendez-vous en visioconférence ou par téléphone. 

Comment voyez-vous l’avenir de votre profession, les dangers, les améliorations pour notre système de santé ? 

J’espère qu’il y aura de moins en moins de malaise à parler de ce processus, pour qu’il soit considéré comme quelque chose qui n’a logiquement pas été choisi par les personnes. À l’avenir j’aimerais que les addictions soient plus comprises et soutenues par les proches et par la société.

Par

Rédactrice Santé Doctoome.com

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